Suite et fin de notre entretien avec Olivier Couder... Vous aurez maintenant toutes les clés, ou presque, de la pièce Demain Hier, c'est mon anniversaire... ça se passe à Chelles, salle Albert Caillou, à 18h hier demain et à 15h dimanche. Pour plus d'infos, vous pouvez bien sûr jeter un coup d'oeil sur le site des Rencontres.
4. La pièce aborde, avec distance, humour, dérision et lucidité, le fonctionnement des institutions médico-sociales et la place des personnes handicapées. Avez-vous l’impression que le regard sur le handicap évolue ?
"Je ne me sens pas en mesure de répondre à une question aussi vaste, qui impliquerait d’étudier de multiples facteurs, économiques, sociologiques, psychologiques, culturels, politiques corrélés entre eux. Je me contente de faire quelques remarques : Je constate une véritable prise en compte du handicap en France qui n’existait pas, ou pas autant il y a seulement dix ans. Concernant plus particulièrement le domaine de la culture, la situation était catastrophique. Les personnes en situation de handicap étaient exclues de toute forme de pratique culturelle.
Aujourd’hui, on s’accorde à reconnaître, même si ce n’est pas toujours appliqué, que les personnes handicapées ont un droit à la culture, comme tout le monde. Cela veut dire qu’elles doivent pouvoir accéder à la fréquentation des oeuvres, à une pratique artistique amateur ou professionnelle selon leurs souhaits et leurs talents.
On parle donc plus du handicap, et les travaux d’accessibilité ont commencé à se mettre en oeuvre dans toutes les directions : augmentation des places en institution, accès au logement, aux lieux culturels, aux transports… Cela ne veut pas dire pour autant que le regard social dominant sur le handicap évolue vers une meilleure intégration ou une meilleure acceptation. Dans une société où les valeurs individuelles et la recherche du bonheur privé prennent une place toujours plus large, le handicap continue souvent d’être ressentie comme une différence menaçante. Le fait qu’il y ait plus de spectacles joués avec des personnes handicapées pourrait cacher des formes d’exclusion plus subtiles : d’une part, certains spectacles, si l’on décrypte l’idéologie sous-jacente à la mise en scène, ne font que réitérer l’exclusion et donne à voir une image du handicap conforme aux stéréotypes sociaux. Parmi les clichés les plus fréquents, on retrouve l’image du handicapé souffrant, objet de pitié et/ou de fascination, marqué par le destin tragique et porteur d’une faute qui le condamne à l’expiation, l’image de l’insensé qui ne peut donner de signification à ses actes et se laisse manipuler comme une plaisante marionnette, l’image du monstre proche de la bête... En ce sens, le théâtre peut être un outil d’aliénation tout autant qu’une forme de lutte contre l’exclusion. Tout dépend de ce qu’on représente, et de la façon de représenter. En ce qui nous concerne, nos spectacles visent à interroger les représentations sociales dominantes plutôt qu’à les conforter. Nos spectacles cherchent notamment à questionner la sacro-sainte barrière fictive qui oppose le normal et le
pathologique, un des derniers tabous structurant encore la scène théâtrale contemporaine. On peut espérer que cela fasse un peu changer le regard du spectateur, à la fois sur le handicap et sur lui-même, etfasse diminuer les peurs. Mais là aussi, il n’est pas sûr que les bonnes intentions atteignent forcément leur but.
On peut craindre que nous ne soyons pris à notre insu dans un système qui fonctionne sur une
exclusion sociale réelle et une réintégration par le symboliques : les personnes handicapées
seraient d’autant mieux exclues, rendues transparentes, invisibles de la scène sociale,
qu’on les applaudit ensuite très fort dans un lieu symbolique codé, hors de la scène sociale
réelle, légitimant ainsi leur différence et leur isolement."
Commentaires